Où va l’Europe ?
Dimanche après-midi, après être allé voter avec ma fille, je suis en vidéo avec mes fils et ma petite fille qui fête ses dix ans. Un peu plus tard, 20h07 un message de France de mon fils aîné: “ Macron dissout l’Assemblée”. L’info est à la télé portugaise. Mon fils à 20h22 “On est à plus de 36% de votes extrême droite quand même”.
Je continue à suivre les infos, au Portugal la montée de l’extrême droite inquiète aussi, mais finalement la progression est limitée, CHEGA passe de 18% aux législatives á 10% aux Européennes, le Parti Socialiste et la droite pro-européenne sont en tête, CDU et BE perdent un siège mais se maintiennent. LIVRE et PAN n’apporteront pas leur voix Écologique au Parlement Européen, les Écologistes sont par ailleurs avec les libéraux ceux qui vont perdre le plus de représentativité au Parlement. La situation chez nos voisins espagnols est proche de la nôtre, la droite du PP qui a absorbé les libéraux de Ciudadanos obtient 22 sièges, le PS 20, et ses alliés du SUMAR 3, Podemos 2 et un nouveau parti ultra droite 3 sièges.
Avant de continuer mon exploration des résultats, je m’interroge sur les raisons de cette montée régulière du populisme et de l’adhésion à l’extrême droite dans les isoloirs. Quels sont les raisonnement, motivations au moment du vote ?
Une personne qui n’a pas voté mais aurait voté extrême droite á Marseille[1]: “ On nous dit que c’est un droit, mais nos voix ne sont pas respectées. Après l’élection, Macron a tout passé en force” Une amie déçue de la gauche, plutôt écolo, qui a peur de ce qui va suivre en France avec cette dissolution me confie le lundi : “J’ai voté pour le parti animaliste, avec cette division des écologistes, eux on est sûrs de ce qu’ils défendent. Mais maintenant avec la dissolution j’ai peur ”. Une autre amie, “j’en ai marre de ces guerres, faudrait que ça s’arrête, en plus avec tous ces partis, je ne savais plus pour qui voter, je me suis référé à ce que voteraient mes parents s’ils étaient encore de ce monde, j’ai voté Communiste”. Un autre ami au Portugal cette fois : ” j’ai voté Initiative Libérale, je ne crois plus aux grands partis trop dans le système, je pense que seuls les petits partis pourront faire bouger les choses ! Une jeune étudiante de Coimbra : “J’ai voté LIVRE, ils défendent mes choix, ils passeront la prochaine fois !”. Un autre ami : “Je ne supporte pas ces massacres en Palestine, j’ai voté B.E “. Dans un monde qui affronte de nouveaux défis, les motivations du vote voire de l’abstention sont de plus en plus diversifiées. Il n’y a plus de grands blocs identitaires comme le fut le mouvement ouvrier, le mouvement féministe, les regroupements sont comme la société plus complexes et plus diffus. La société est centrée sur l’individu, isolé, et les forces de contestation et construction sociale collectives sont de plus en plus reléguées au folklore et au musée. Comme le dit cet électeur d’extrême droite, une fois élus, ils passent tout en force. Les lieux de contre-pouvoir démocratique, syndicats, associations, groupes d’expression, ne sont pas suffisamment reconnus, aidés. Les groupes radicaux prospèrent et alimentent la montée populiste et extrémiste. L’exemple marquant est celui des “Gilets Jaunes” en France qui a été d’autant plus investi par l’extréme droite que le pouvoir en place a pipé le dialogue. La réforme des retraites refusée par une grand majorité des français, en plus de la déception engendrée, discrédite le fait même de négocier. Au Portugal, les négociations sans issue des secteurs santé, éducation, forces de sécurité, justice, ainsi que l’invisibilité médiatique des problèmes des travailleurs des secteurs privés du commerce, de la construction, du service à la personne …etc . entretiennent une sensation de non reconnaissance, propice á la recherche d’autres solutions. Les questions touchant aux droits des femmes, des immigrés, des minorités quand elles semblent plus régresser qu’autre chose, remises en cause par ces diverses versions conservatrices et populistes. Au regard des résultats, les questions écologiques, malgré les évidences de l’urgence climatique entre autres restent secondaires, dans les choix électoraux. L’aggravation des situations de pauvreté, d’accès au logement, reconnues par tous, ne mobilise pas les électeurs pour leurs meilleurs défenseurs à gauche ! Quand au lieu de répondre aux problèmes du monde agricole, ont les oppose aux écologiques, le pouvoir libéral renvoie l’un et l’autre à la radicalisation de ses actions, faute de réponses concrètes.
Bon, mais au-delà de l’Europe franco-ibérique, quels sont les résultats et tendances?
Compte tenu de l’importance encore forte du couple franco-Allemand au niveau Européen, je m’interroge, et en Allemagne, qu’est-ce qui se passe ? Les conservateurs l’emportent, alors que les 3 partis qui soutiennent le chancelier Olaf Scholz reculent et le parti d’extrême droite arrive en deuxième position avec près de 16% des voix, alors qu’un nouveau parti très ferme en matière migratoire et opposé á toute aide militaire á l’Ukraine arrive en 5éme position et élit 6 députés. Le parti conservateur réclame des élections anticipées comme en France. L’Allemagne semble aujourd’hui en attente de voir ce qui se passe en France pour ne pas se lancer dans une crise politique au moment où la France se lance dans l’inconnu. Les conservateurs sont en bonne place, pour un objectif plus national qu’européen.
Globalement l’extrême droite se renforce, en Autriche, en tête avec 25,5%, en Italie, Giorgia Meloni est la grande gagnante du scrutin avec 28,8% alors que le centre gauche est deuxième avec 24,6%. Giorgia Meloni renforce ainsi son influence à Bruxelles en tant que chef de gouvernement et de parti où elle entend influer sur les droites du Parlement Européen.
L’extrême droite néerlandaise est contenue et arrive derrière la gauche. En Roumanie, c’est une coalition entre partis de droite et de gauche qui réduit l’influence de l’extrême droite. En Pologne le parti pro-européen l’emporte et l’extrême droite est en troisième position avec 12,1%, son plus haut score, quand même. Dans les pays nordiques, l’extrême droite est en recul, principalement en Finlande. En Hongrie le parti de Viktor Orban reste en tête mais subit un revers, son opposant a qualifié le scrutin de début de la fin. En République Tchéque, Slovaquie, Bulgarie, un tiers environ des élus sont extrémistes ou pro-russes déclarés.
La carte globale du parlement ’Européen 2024, est une fois de plus, plus á droite, en tant que français, portugais, européen, je ne m’y retrouve pas, je pense á Jacques Delors qui nous a quitté il y a peu, je ne crois pas qu’il aurait souhaité ce glissement. Risques pour les politiques sociales, pour les droits á la liberté, pour le futur de la planète, pour la paix en Europe… Je ne crois pas que cette Europe soit en capacité de donner une réponse durable au quotidien des citoyens européens, encore moins à ses immigrés, même pas à ses zones rurales qui sont un des territoires électoraux les plus perméables aux idées réactionnaires… Les commentateurs estiment que le parlement, malgré sa tonalité très droitière, est en mesure de contenir l’extrême droite, mais n’est-il pas déséquilibré et affaibli avec un conflit armé à ses frontières?
L’enjeu national français du 30 juin et 7 juillet, est un pari risqué qui ne limitera pas ses effets au sein de sa frontière nationale. La mobilisation des citoyens dans des organisations démocratiques est plus que jamais nécessaire pour organiser les contre pouvoirs. La place et la reconnaissance de la jeunesse dans ces organisations est primordiale, parce que les organisations rétrogrades et individualistes sont déjà sur le terrain. Il nous faut repenser nos organisations pour les ouvrir sur les réseaux sociaux. Prendre en compte les situations concrètes vécues par les uns et les autres et libérer la parole. En l’absence de cette parole, d’un dialogue constructif, d’une écoute de l’autre, c’est la recherche d’une autorité souveraine qui décide pour nous (et souvent contre nous) qui continue à être la règle. Retour des régimes autoritaires et autocratiques et déclin de la démocratie.
Certains groupes, partis en France imaginent un front populaire, pourquoi pas mais il faudra le mettre au goût du jour, pas seulement une alliance éphémère entre quelques partis politiques, fait dans l’urgence d’une élection surprise. Un front populaire avant d’être un mouvement d’alliance entre partis politiques est un mouvement social qui porte une expression forte et déterminée de la dignité de l’Homme. Cela me fait penser à un texte sur le front populaire de 1936 que je vous transmet. Un front populaire oui, mais de citoyens européens pas de partis jusque là divisés qui se mobilisent devant la montée extrémiste. Et ça ce sera plus long à mettre en place que des élections anticipées. Ces partis extrêmes ont mis vingt ans pour s’organiser et sont en phase de s’approprier les pleins pouvoirs au moins en France. La peur qu’ils peuvent provoquer est maintenant banalisée, grâce à certaines concessions des droites conservatrices, une partie des Républicains en France est prête à faire alliance avec eux…
Le texte qui suit fait référence à une période et un contexte historique, mais le fond, la question de la Dignité Humaine reste présente. En juin 1936, avant que le gouvernement de front populaire se mette en place, les métallurgistes se mettent en grève. L’article[1] est de Simone Weil[2], extrait:
La grève des métallos, 1936
Pourquoi les ouvriers n’ont-ils pas attendu la formation du nouveau gouvernement ?…
En premier lieu, ils n’ont pas eu la force d’attendre. Tous ceux qui ont souffert savent que lorsque l’on croit qu’on va être délivré d’une souffrance trop longue et trop dure, les derniers jours d’attente sont intolérables. Mais le facteur essentiel est ailleurs…
Il s’agit de bien autre chose que telle ou telle revendication particulière, si importante soit-elle. Si le gouvernement avait pu obtenir pleine et entière satisfaction par de simples pourparlers , on aurait été bien moins content. Il s’agit, après avoir tout subi, tout encaissé en silence pendant des années, d’oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange…”
Nous sommes bien loin de ce jour de joie, mais il va falloir se tenir debout pour reprendre le chemin de l’Europe, telle que nous la voulons, une première bataille est annoncée, il va falloir la gagner les 30 juin et 7 juillet en France.
Christian Lefeuvre
[1] Extrait article de Benoît Floc’h, Benjamin Keltz, Alexandre Lenoir et Gilles Rof, Le Monde du mardi 11 juin 2024,p.5
[2] Article la grève des métallos, 1936 dans la revue La Révolution prolétarienne, Nº224, 10 juin 1936.
[2] Simone Weil, philosophe, á ne pas confondre avec Simone Veil qui a donné son nom á la loi sur la contraception et l’avortement en France en 1974.